Une application pour aider les enfants autistes à apprivoiser leurs émotions. C’est le projet lancé par Emoface. Créée en 2017 par Adela Barbarescu et Mayra Lima, la startup grenobloise a lancé en avril dernier un produit ludique et innovant destiné à améliorer la gestion des émotions. Un premier pas prometteur, qui annonce de grandes ambitions pour mettre la technologie au service de l’entrainement des habiletés sociales.
« Dans tous les secteurs de la vie, c’est beaucoup mieux quand c’est ludique. Moi, j’aimerais mettre du jeu partout, s’enthousiasme la CEO d’Emoface, Adela Barbarescu. Aussi, on sait très bien que l’apprentissage est beaucoup plus efficace par le jeu. C’est encore plus vrai pour l’autisme ». En avril dernier, l’entrepreneuse franco-roumaine a officiellement lancé « Emoface Play&Learn », le premier jeu proposant un apprentissage de base pour la gestion des émotions. Il offre tout une diversité d’exercices pour entraîner les compétences sociales des enfants diagnostiqués, notamment la reconnaissance de l’expression des émotions faciales, à l’aide d’avatars 3D.
« L’autisme peut entraîner un déficit d’interaction sociale, notamment dans la compréhension des situations et la communication avec l’autre. Pour certains enfants, il peut être difficile de savoir quelle émotion utiliser selon le contexte social, explique Adela Barbarescu. Emoface va les aider à diriger l’attention vers le visage, à comprendre que c’est là qu’on va trouver l’information pertinente pour comprendre l’état mental de l’autre ».
Emoface propose une grande diversité d’exercices pour aider l’enfant diagnostiqué autiste à reconnaitre l’expression des émotions faciales.
Pour les professionnels ou en famille
Concrètement, l’application se découpe en plusieurs sections. Une première, davantage destinée aux professionnels, où il est possible de choisir l’émotion à reconnaître et le niveau de difficulté, en fonction de la compétence à travailler. Pour s’exercer depuis la maison, il existe aussi un parcours, validé par des professionnels de santé, avec trente niveaux de difficultés progressives. « Un parent peut accompagner son enfant sur le parcours du début à la fin, sans se poser la question de savoir s’il est sur la bonne voie ou la bonne méthodologie » confirme Adela.
Dans la partie « exploration », l’enfant fait face à une tête d’avatar 3D, qu’il peut modifier à sa guise grâce à différents boutons et sliders. Il peut alors recréer des expressions faciales en laissant libre cours à son imagination. « Les enfants adorent déformer l’avatar ou lui ouvrir la bouche pour le faire parler, commente la CEO. Ils peuvent aussi recréer un visage expressif pour dire « hier, j’étais comme ça ».
Pour chaque type d’activité, l’application va générer cinq exercices uniques où l’identité de l’avatar et l’intensité de l’émotion changent à chaque fois. Une technologie sur laquelle Adela Barbarescu travaille depuis longtemps. 2015 pour être précis, date du début de sa thèse à l’INRIA, à Grenoble.
Interview d’Adela Barbarescu
Grenoble, jonction entre le Brésil et la Roumanie
Titulaire d’un Master en « Computer Vision » (vision artificielle), qu’elle a passé entre le Danemark et l’Espagne, Adela poursuit son tour d’Europe en Rhône-Alpes, avec un doctorat en cinématographie virtuelle. Mordue de sciences informatiques, elle apprend à utiliser les algorithmes de Machine Learning pour recréer des acteurs virtuels et des visages expressifs.
Au cours de sa thèse, Adela étudie de près les émotions, d’un point de vue technologique mais aussi psychologique. « C’est là que j’ai fait le lien entre les émotions et l’autisme. J’ai rencontré des spécialistes, des personnes diagnostiquées… J’étais une personne très timide et j’avais beaucoup d’empathie pour ces gens qui me racontaient leur problématique et leur hypersensibilité ». Adela souhaite mettre ses compétences techniques au service de l’entrainement cognitif vers les compétences sociales. C’est le début du projet Emoface.
La spécialiste en animation virtuelle multiplie les entretiens avec des orthophonistes, neurologues et psychologues qui aident à la conception de l’application, nottamen pour définir les types d’exercices qu’elle intègrera. C’est là qu’Adela rencontre l’alter Ego qui va acter la naissance d’Emoface. Une femme qui la complète parfaitement dans ses compétences et ses ambitions : Mayra Lima.
« Je cherchais des designers pour créer les premiers prototypes de l’application. En faisant le tour des associations, une mère me parle de Mayra Lima, une bénévole qui travaille pour une autre association », se souvient Adela. Elle reçoit finalement un courrier de Mayra, diplômée en design graphique et très impliquée dans le monde de l’autisme, avec une petite sœur diagnostiquée et non verbale. La Brésilienne indique chercher une associée qui ait les compétences techniques pour créer son application. « Et en fait, les applications qu’on avait en tête, c’était la même chose » s’amuse Adela.
Mayra Lima et Adela Barbarescu étaient faites pour se rencontrer. La graphiste et l’ingénieure informatique ont allié leurs talents pour créer Emoface
sLe duo fait grandir le projet dans différents programme d’incubation. SAAT Linksium leur apporte un premier financement et des connaissances précieuses dans le domaine entrepreneurial. Ronalpia, en France, et Impact Hub, en Roumanie les accompagnent sur des programmes dédiés aux projets d’impact social. Tech Care leur permet de se lier aux entrepreneurs du monde de la santé… En quatre ans, Adela et Mayra tissent leur réseau, développent leur projet qui aboutit, après une année de test en version Bêta à la sortie de leur premier produit : Emoface Play&Learn.
Nouveaux projets, levée de fond et développement international
Les retours sur la première application sont unanimes. Mais il ne s’agit là que du premier produit développé par Emoface. Deux nouvelles versions de l’application, pour cibler plus spécifiquement d’un côté les familles et de l’autre les professionnels, sont attendues d’ici la fin de l’année.
L’entreprise travaille également sur un projet intégrant l’intelligence artificielle pour recréer des scènes virtuelles afin d’entrainer les compétences sociales. « Ça permettrait aux spécialistes de créer le contenu visuel en fonction des besoins qu’ils rencontrent pendant les sessions de thérapie. Par exemple, s’ils veulent apprendre à l’enfant comment acheter un croissant chez le boulanger, ils peuvent recréer la scène en 3D, créer des personnages et faire intervenir un dialogue », illustre Adela.
Autre projet phare : le développement d’un miroir virtuel intégré à l’application, afin que les expressions faciales de l’utilisateur se reflètent en direct sur l’avatar 3D.
En phase de conception, ces projets demandent un gros travail d’intelligence artificielle afin de créer les bases de données. Aussi, la méthodologie d’apprentissage et les ateliers proposés doivent être validés par des professionnels de santé. Dans cette optique, Emoface a débuté un partenariat avec le Plan National de l’autisme, une structure qui les aide à trouver des associations, à monter des protocoles de recherche et à réaliser des tests.
Enfin, en intégrant le programme d’accompagnement des startups de HPE France, Emoface espère continuer à apprendre et bénéficier du réseau. Leurs attentes se situent notamment la partie recrutement, alors que l’entreprise s’apprête à élargir son équipe. Déjà aidées par une alternante, Mayra et Adela espèrent passer à cinq ou six salariés d’ici la fin de l’année, et plus encore en 2022, avec des profils marketing et développeurs.
Lauréat du concours I-Lab et Innovators for children en 2020, Emoface a pu se financer grâce aux prix remportés et l’appui des incubateurs. Mais ses ambitions nécessiteront de nouveaux financements. Une levée de fonds est en préparation avec un premier tour de table prévu pour 2022. Un soutien qui permettra de développer d’autres formes d’applications, pour introduire davantage la technologie dans le secteur de l’apprentissage des habiletés sociales. Adela Barbarescu résume ainsi ses ambitions : « Aujourd’hui on travaille sur l’autisme, mai ce qui nous intéresse sur le long terme, c’est de créer des outils pour entrainer les compétences sociales en général, pour tous les enfants ».